mercredi 30 octobre 2013

l'or noyé de Kamituga

film de Yvon Lemmens et Colette Braeckman, 

Dans le cadre du "week-end du doc" cette coproduction RTBF et Amnesty international, sera projeté au PHARE le 16 novembre, à 20 h et suivi d'un débat avec débat avec Yvon Lammens, cinéaste réalisateur, Colette Braeckman, journaliste écrivain et Philippe Hensmans, directeur de Amnesty international Belgique francophone


voici la présentation du film, rédigé lors sa diffusion à la RTBF


 Kamituga n'est qu'à 180 km de Bukavu mais ressemble au bout du monde. La route est coupée, seuls de petits porteurs desservent, plusieurs fois par jour, cette ville minière où durant les années de guerre, aucun Européen n'osa s'aventurer. Jadis, le site fut l'un des sièges d'exploitation de la Sominki, Société minière du Kivu, qui exploitait la cassitérite, d'où l'on tire l'étain, et l'or, objet d'éternelles convoitises.

Yvon Lammens et Colette Braeckman ont connu Kamituga au temps de sa prospérité, voici 25 ans, lorsque la Sominki, principal employeur de la région, assurait à ses travailleurs logement, écoles, soins de santé, même dans les périodes difficiles où les cours de l'étain s'effondraient.

A plusieurs reprises, ils y sont retournés, retrouvé les mêmes interlocuteurs et filmé l'évolution du site. Même si Sominki a été dissoute, les installations pillées, les cartes géologiques volées et si la société canadienne Banro est devenue propriétaire des installations après de pénibles différends avec le pouvoir de Kinshasa, les travailleurs se souviennent toujours avec nostalgie de la société mère et tous aspirent à son impossible retour.

Retracer l'histoire de Kamituga, c'est revenir aux sources de la guerre: rappeler les appétits des sociétés minières, la convoitise du voisin rwandais et de ses alliés locaux, la faiblesse et les contradictions du pouvoir de Kinshasa, la résistance des travailleurs abandonnés, où les mineurs d'hier se sont transformés en «artisans» c'est-à-dire en creuseurs et sont soumis aux ponctions des chefs de guerre qui contrôlent le site. Kamituga, c'est le Congo en miniature : des infrastructures abandonnées, la débrouille du petit peuple, le travail des creuseurs et le sort des femmes: le jour, elles broient à la main les pierres ramenées de la mine et la nuit, elles livrent leurs corps à leurs protecteurs.. . L'histoire de Kamituga illustre aussi, par le petit bout de la lorgnette, la loi d'airain d'une économie mondialisée: comment une société minière americano-canadienne a pu, après une modeste mise de fonds, (trois millions et demi de dollars), mettre la main sur les sites les plus rentables légués par la Sominki et abandonner à un Etat congolais inexistant le soin de régler le passif social, c'est-à-dire les arriérés de salaires de 6000 travailleurs livrés à eux-mêmes...

Rappelant le passé et l'histoire, traçant la chronique du présent, Yvon Lammens et Colette Braeckman ont aussi tenu à donner un large écho aux voix de ces oubliés de la forêt, ces gens de Kamituga pillés, exploités, menacés, mais qui ont continué à leur manière, à résister, à espérer et même à préparer un avenir meilleur, où l'agriculture reprendra ses droits, où les élections auront permis à tous de faire leurs choix...

Renseignements pratiques :
projection-débat : le 16 novembre, à 20 h -  snack congolais - gratuit - réservation souhaitée à uccle.lephare@yahoo.fr ou 02 374044

lundi 7 octobre 2013

l'Inde et la non-violence : M.K. Gandhi

L'Inde est-elle la patrie de la non-violence ? Ceux qui suivent l'actualité indienne répondront certes par la négative. Loin d'être un havre de paix, le continent indien est traversé par de multiples et sanglants conflits communautaires et interethniques, sans compter la criminalité et la violence sexiste qui font la une de la presse. Pourtant, la non-violence reste étroitement liée à l'image qu'on se fait de la culture indienne. Une figure historique de premier plan incarne l'éthique non-violente au point d'en devenir en quelque sorte le modèle : il s'agit de Mohandas K. Gandhi.
La non-violence gandhienne peut être considérée à la fois comme une éthique et comme une tactique au service de l'émancipation anticoloniale. Sans prétendre en faire une analyse historique ou politique, en voici les principaux concepts


Ahimsa : ne pas nuire

Le terme "ahimsa" désigne en Inde un refus de nuire à tout être vivant, quelqu'il soit. Cette éthique est une condition de la libération spirituelle menant au nirvana. Assumée par les brahmanes et par les adeptes du jaïnisme, cette non-violence repose sur la conscience de l'unité de tous les êtres dans un univers infini au devenir cyclique.

Gandhi pratiqua l'hindouisme toute sa vie et voyait dans toutes les religions autant de chemins possibles pour atteindre la Vérité. Il puisait son inspiration dans la Bhagavad Gîta .

Cet épisode du Mahâbhârata est un des écrits fondamentaux de l'Hindouisme. Il est considéré comme un « abrégé de toute la doctrine védique »

Au début de la grande guerre entre les Pandavās, et les Kauravās. Arjuna, un des cinq Pandavas et Krishna - qui se fait le cocher du char d'Arjuna afin de le mener au combat - sont sur le champ de bataille de Kurukshetra entre les deux armées prêtes à combattre. Arjuna doit annoncer le début des combats mais, voyant des amis et des parents dans le camp opposé, il est désolé à la pensée que la bataille fera beaucoup de morts parmi ses proches, oncles , cousins . Il se tourne alors vers Krishna pour exprimer son dilemme et demander conseil. En réponse, Krisha explique que tout être est lié par son destin (karma) et que pour accomplir son devoir dans la sérénité, il doit se détacher des objectifs poursuivis, être indifférent au succès ou à l'échec de son action. Ce renoncement permet d'échapper au samsāra, le cycle des renaissances. En clair, le guerrier peut parfaitement, dans ce cadre éthique, mener le combat, puisque sa position sociale, destin déterminé par le cycle des renaissances, l'y oblige mais il devra se détacher moralement des buts poursuivis et discipliner son esprit et son corps afin de se libérer des passions.

Il ne faut donc pas en conclure que tous les hindous sont non-violents, même si nombre d'entre eux pratiquent le végétarisme. On ne saurait confondre l'ahimsa avec un pacifisme social ou politique : il s'agit surtout d'une éthique, une attitude de "non-volonté" de nuire qui n'empêche pas la caste Kshatriya (celle des rois, nobles et des chefs de guerre ) d'accomplir leur fonction militaire.

Gandhi dont l'éducation est fortement occidentalisée, bien que sa mère fut une dévote vishnouiste, accède aux textes sacré de l'hindouisme à travers des adeptes de la théosophie. C'est donc une à lecture fortement influencée par le syncrétisme religieux des théosophes qu'il se livre.

Ce qui l'amène considérer que son engagement concerne toute l'humanité. Issu de la caste des marchands, Gandhi se préoccupe du sort des intouchables qu'il considère comme "fils de Dieu". Sa non-violence, qu'il adopte radicalement comme discipline personnelle, n'est pas absolue : il préfère la violence, mise au service des opprimés, à la lâcheté ou à l'impuissance. Elle n'est pas non plus une forme purement individuelle d'ascétisme, mais aussi une pratique sociale qui s'exprime dans le "satyagraha" ou "la force née de la vérité", autrement dit la lutte concrète pour abolir la violence dans le monde.

Satyagraha : "force de la vérité"

Cette transposition sociale de l'éthique non-violence fait problablement l'originalité de la démarche gandhienne. Gandhi comptait beaucoup sur la capacité de persuasion induite par l'acceptation de la souffrance résultant de la non-rétorsion au mal subi mais cet idéalisme est charpenté par un sens tactique aigu.

Concrètement la lutte non-violente prend les formes suivantes :
- non-coopération : qui repose sur le constat que tout pouvoir injuste tire sa force de l'assentiment passif des dominés. La non-coopération retire cet assentiment, fragilisant ainsi le pouvoir
- désobéissance civile : c'est à dire le non-respect des lois injustes mais assorti de l'acceptation délibérée de la sanction.

La non-coopération se concrétisa, en Inde, par le boycott de l'économie anglaise. Pour Gandhi, l'inde doit se suffire à elle-même, son développement économique doir reposer sur uniquement sur les ressources locales, et en particulier sur les artisans et les paysans. Dès lors, il refuse tout produit industriel importé par les Anglais exhortant ses adeptes à se vêtir du khadi traditionnel, de préférence tissé par eux-mêmes, plutôt que les vêtements importés de Grande-Bretagne. Sa position anti-industrielle n'est pas dictée par une technophobie irrationnelle, comme on a pu le croire, mais par une vision à long terme d'un développement progressif durable et autocentré.

La "marche du sel", depuis Ahmedabad vers Dandi où des milliers d'Indiens se joignent à une marche de 400 km vers la mer afin de ramasser leur propre sel, est une réponse au monopole colonial de la production et de la commercialisation fortement taxée du sel. Ce geste, hautement symbolique, signifie sans équivoque le refus de l'autorité coloniale. Cette campagne avait pour fonction de structurer le mouvement d'indépendance, de la canaliser aussi car, impatientes, de nombreuses voix s'élevaient en faveur de la rébellion armée.
Au plus fort de la guerre mondiale, le congrès national indien lance la campagne "Quit India" ou Gandhi encouragea les militants à agir comme s'ils appartenaient à une nation indépendante et ne plus suivre les ordres des britanniques, et à refuser, entre autre, toute participation à l'effort de guerre britannique. La répression massive ne fit qu'accentuer le mouvement et à susciter des émeutes. La campagne "Quit India" accentua cependant les divergences entre hindous et musulmans. Ces derniers, favorables à la partition de l'Inde promise aux Musulmans par les Anglais, se montraient plus réticents à participer à cette campagne de désobéissance civile.

Le Congrès national indien était aussi traversé de contradictions internes : Subhas Chandra Bose leader politique de Indian Independence League, une des composantes politiques du Congrès national indien, n'était pas partisan de la non-violence et sympathisait avec les forces de l'axe. Jawaharlal Nehru quant à lui, avait une vision socialiste, progressiste et moderniste de l'Inde, prônant son industrialisation sur le modèle des plans quinquennaux soviétiques. La Ligue musulmane était encouragée par les Britanniques dans sa volonté de créer un état musulman séparé et bien qu'elle participa activement à la lutte du Congrès national indien, il obtint la partition de l'Inde et la création de l'état pakistanais, au prix d'une séparation douloureuse de la population.

Par ailleurs, si les hagiographes de Gandhi attribuent à la stratégie non-violente le succès de l'indépendantisme indien, l'analyse historique oblige à des conclusions plus nuancées. Le nationalisme hindou avait historiquement une composante armée non négligeable et par ailleurs, la guerre mondiale 40-45 avait diminué affaibli l'empire britannique et diminué la capacité des anglais à contrôler leurs colonies.

La volonté de Gandhi d'unification de l'Inde, réunissant en une seule nation hindous et musulman, irritait les nationalistes hindous et ce fut l'un d'entre eux, Nathuram Godse, lié au mouvement fascisant Hindu Mahasabha, qui l'assassinat le 31 janvier 1948. Godse tenait Gandhi pour responsable de la partition de l'Inde et par là de son affaiblissement

Gandhi, un modèle pour l'Occident ?


La pensée sociale et éconmique de Gandhi s'articule autour du concept de "home rule" ou d'autonomie locale, qui implique un modèle de développement autocentré, reposant sur les ressources locales et adoptant une attitude critique à l'égard du modèle occidental, industriel, mondialiste et capitaliste. L'importation en Inde des produits manufacturés de Manchester avait réduit à la famine des milliers d'artisans indiens. Sa critique repose aussi sur une éthique du renoncement au désir exacerbé par la société de consommation que les puissances occidentales imposent au monde.

Gandhi s'était fait le défenseur des intouchables, sans caste exclus de tout rapports sociaux avec les castes, mais il ne remettait pas en cause la différenciation sociale inhérente aux castes, distinguant simplement l'aspect sacré, selon la tradition hindoue, des quatre castes traditionnels dit varna, de l'institution sociale, qui peut être réformée, des catégories socio-professionnelles (jati) et des interdits qui leur sont imposés. Ainsi Gandhi se révèle beaucoup plus conservateur qu'on ne le pense généralement, sa révolution étant essentiellement un retour à une forme ancestrale, imaginée et idéalisée, de la société indienne. Le refus de la technologie moderne, la valorisation de l'économie rurale et de l'artisanat, la promotion de l'autonomie locale, celle des villages et des communautés de base, au détriment des structures étatiques centrales, va dans ce sens. Prônant un gouvernement fortement décentralisé, la pensée politique gandhienne pourrait être proche de l'anarchisme, visant une société démocratique non-violente formée de villages fédérés.

La non-violence gandhienne, appliquée à une politique de résistance anticoloniale, ne fut pas sans influence sur les mouvements nationalistes et indépendantistes du tiers-monde, elle n'est pas sans influence sur le pacifisme occidental d'entre-deux-guerre et sur divers mouvements sociaux : Martin Luther King, Nelson Mandela, Steve Beko, Aung San Suu Kyi s'en s'ont réclamé. Romain Rolland popularisa l'oeuvre de Gandhi en France. 

Un peu avant la guerre 40-45, Lanza del Vasto effectue un voyage aux Inde et y rencontre Gandhi. Le récit de cette rencontre se trouve dans son "Pélérinage aux sources"...de retour en France, Lanza del Vasto s'attache à fonder une communauté d'inspiration gandhienne - la communauté de l'Arche - tout en développant une pensée s'inspirant clairement de la non-violence gandhienne mais se rattachant à une vision chrétienne teintée de traditionnalisme religieux. 
Les mouvements pacifistes et d'objection de conscience tirent se réfèrent aussi aux techniques de résistance civile mises en oeuvre en Inde. Jean-Marie Muller a théorisé ce mode d'action. La désobéissance civile fait aussi l'objet de débat, dans le champ juridique comme en philosophie politique. John Rawls consacre d'importants chapitres de sa "théorie de la justice" à ce sujet.

Les conceptions sociales de Gandhi préfigure aussi les critiques radicales du productivisme industriel et les mouvements dits de "décroissance" ou de "simplicité volontaire".

Sélection de quelques documents


oeuvre de Gandhi


  • Autobiographie ou Mes expériences de vérité / M. K. Gandhi ; ; traduit d'après l'édition anglaise par Georges Belmont ; présentation et notes de Pierre Meile . - Paris : Presses Universitaires de France , 1964 - 921 GAN - disponible au PHARE et à Uccle Centre

Biographies


  • Gândhî ou l'éveil des humiliés : biographie / J. Attali . - éd Fayard, 2007 - 921 GAN - disponible à Uccle-Centre et Homborch
  • Gandhi athlète de la liberté / Catherine Clément. - Paris : Gallimard, 1989. - 921 GAN - disponible au PHARE (section adulte et jeunesse), à Uccle-Centre (section jeunesse)
  • La vie du Mahâtma Gandhi / par Louis Fischer ; trad. de l'américain par Eugène Bestaux . - Paris : Pierre Belfond , 1983 . - 921 GAN - disponible au PHARE
  • Ce que Gandhi a vraiment dit / Jean Herbert. - Verviers : Marabout, 1974.- (Marabout Université ; 250 ). - 140:92 GAN - disponible au PHARE
récits et témoignages
  • Le pèlerinage aux sources / Lanza del Vasto. - Paris : Gallimard, 1980 . - (Folio;). - 91.0(540)

pour jeunes et enfants : en section jeunesse

  • Gandhi & son temps / Marylène Bellenger ; direction artistique Daniel Vignat . - Paris : Fontaine : Mango , 1997 . - 921 GAN - disponible au PHARE et Uccle-Centre
  • Gandhi / Rédacteurs en chef : Christopher Dobson et Jacques Lapeyre . - Trélissac : Chronique Dargaud , 2004 . - (chroniques de l'Histoire). - 921 GAN . - disponible à Homborch jeunesse
  • Gandhi : une âme pour la liberté / par José Féron Romano et Judith Abehsera.- Paris : Hachette Jeunesse , 1998 . - (Le livre de poche. Jeunesse. Senior ; 656 ). - 921 GAN - disponible au PHARE, jeunesse.
  • Gandhi : la liberté en marche / Irène Frain . - Boulogne : Timée , 2007 . - 921 GAN - disponible au PHARE, jeunesse
  • Gandhi / Brigitte Labbé, Michel Puech ; illustrations de Jean-Pierre Joblin. - Toulouse : Milan , 2006. - (De vie en vie ; 20 )
  • Après Gandhi : un siècle de résistance non violente / Paris : Editions du Sorbier , 2010. -

médiathèque : au Point culture

  • GANDHI : film de ATTENBOROUGH, Richard - dvd - VG0823
  • GANDHI - FIN D'UN EMPIRE - Série LES CHOCS DU SIÈCLE n° 5. - N/B. - HACHETTE, 1988. - VHS seulement : TH1415 
  • GRANDS DESTINS 1: APÔTRES DE LA PAIX: GANDHI, MARTIN L. KING - Roger COLOMBANI . - BFM, 1999. - CD audio : HD2110
  • SATYAGRAHA : opéra de Philip GLASS - inspiré de la vie de Gandhi .- ARTHAUS MUSIK DVD, 1985. Enregistrement 1983.. - disponible en CD et en DVD : XG366K

sites web




les écrits de Gandhi (en anglais, hindi ou gurajati ) sont disponibles en ligne à :